Les contrées des Loas.

Poussière rouge et clapotis ténu de la Grande Mer.
Sous la chaleur écrasante de Durotar, le couple de Sin’dorei marchent à pas lents entre les huttes de Sen’jin. Silhouettes baignées de soleil n’éveillant que les cris stridents de l’enclos aux raptors, quelques regards suspicieux.

Rousse, les cheveux courts, la Sin’dorei s’engouffre dans une tente en retrait et un peu à l’extérieur du village. Son compagnon la suit sans un mot, marque un temps d’arrêt devant l’amoncellement de crânes qui forme une arche à l’entrée d’une demeure de peaux tannées. Enchevêtrement de toutes tailles, on y devine des vestiges humains aussi bien qu’orc ou animal. Elle se retourne et pose ses yeux verts ternes sur lui. Elle lui sourit comme pour l’encourager, avant de disparaitre à sa vue et de laisser retomber le panneau de peau. Lui grimace en touchant à son tour la matière. Grain trop fin et couleur trop clair pour être animal.

Aveuglés quelques secondes par l’obscurité, les contours se dessinent peu à peu. Au centre, un braséro. Penché au-dessus des braises, marmonnant, un Troll au poil neige, traits parcheminés. Les lueurs rougeoyantes jettent des éclairs de malices dans son regard vitreux. L’arôme de la feuillerêve vous enveloppe et fait rapidement tourner la tête. Il règne un froid délicieux dans le bain d’Ombre du sanctuaire.

Le Chaman rajuste sa pipe entre une commissure et une défense. Sans un mot il plie son long corps pour se mettre à croupetons, observant ses visiteurs. La Sin’dorei s’incline respectueusement, et tend une coupe ouvragée vers son hôte, recouverte d’un linge. D’un geste leste, son immense paluche semble vouloir se saisir avidement de la coupe et de l’elfe, pour ne faire disparaître que l’offrande. Il se rassoit dans les ombres, hors de vue. Un froissement d’étoffe, jetée au feu, le soudain embrasement dessine un œil jeté en l’air qu’on gobe goulûment.

L’elfe rousse détache de sa ceinture la dague d’albâtre qui pend à sa hanche, la pose à ses pieds, et prend place à son tour sur une natte.

Kejah le chasseur m’a dit que tu es et reste la meilleure monture des Loas.

Pas mort de froid avec sa catin blonde ?

Un reniflement de mépris. Pas d’accent dans sa voix. Qui ricoche de manière écœurante dans la tente, s’infiltre en vous et semble aussi bien hurler de très loin que d’être un murmure intime au creux de l’oreille.

Jah est retourné à Zul’Drak. En tout cas c’est qu’il disait vouloir faire aux dernières nouvelles. D’Ael Sul’Jah je n’en sais pas plus.

Le Troll grogne franchement. Aelarian Rougeaube… Sin’dorei à la solde des Magistères avant de trahir Lune pour une de ses cibles. Pour suivre Chander, avant qu’il ne soit le père de Mahli. Ael, traîtresse aux siens, et puis devenue l’épouse d’un Troll des Glaces. Son amie la plus chère dans la Horde.

Tu viens pour quoi, Humaine ? Causer à ton mort ? Ou savoir dans quoi tu t’es fourrée ?

Un rire tranchant, mauvais. La jeune femme accuse le coup, et baisse la tête.

Je laisse les morts à leur place. Je veux en savoir plus sur ça.

Elle désigne avec déférence la Griffe. Il part d’un rire dément.

J’crois que t’as même plus ton âme à offrir, Humaine.

Seule la fin compte. Quel est ton prix ?

Le troll redressa la tête aux paroles de l’elfe rousse et perdit toute trace de son sourire carnassier, alors que ses yeux se posaient à nouveau sur l’arme.

- Il serait mal avisé d'ma part que d’augmenter la dîme à payer…

Il se pencha sur la Griffe en fermant les yeux, récitant à voix basse quelques incantations résonnant de façon fort étrange dans ce lieu si singulier. Sa main droite quant à elle se leva en laissant une traînée de fumée violacée envahir peu à peu la pièce.

L’espace d’un instant, tout sembla plongé dans cet âcre brouillard mauve, se retenir de tousser était un calvaire sans nom. La litanie déformée du troll continua encore quelques instants pour ensuite se taire, le nuage suivit presque aussitôt son exemple en se diffusant plus encore dans l’atmosphère pour ensuite disparaître.

Le regard du sorcier-docteur se durcit soudain, il observa l’espace d’un instant les personnes présente dans son sanctuaire, avant de renifler en poursuivant.

- Ceci est une défense appartenant à un mignon d’Hir'eek, dieu primordial « enfermé » dans la cité maudite de Zul’gurub. Il ne m’appartient pas d'vous en dire plus, mais… partez pour Malaka’jin dans les Serres-rocheuses. En fait non... Disparaissez simplement et emporter cette chose avec vous.

Il se penchera plus en avant, ce troll montra à cet instant un équilibre impressionnant.

- Et ne l’arbore pas face à mon peuple. Ou alors tu rejoindras rapidement nos collections... Humaine.

A nouveau, il se mit à rire de façon grossière et démente. Ne prêtant plus attention à ses visiteurs.

Au fond de la petite grotte, un pot de terre. Sur le seuil, deux Trolls montent la garde. Les consignes données par Pri plusieurs lunes auparavant sont claires. Personne ne doit entrer ici à part elle. La crainte respectueuse des Trolls l’a surprise, à présent elle en joue assez pour être certaine qu’ils ne toucheront pas à un cheveu d’Ibräm. Le ricanement d’Asnath, qu’elle sait faire sien, a déjà retenti dans Malaka’jin.
L’ombre organique coule en elle à l’instant où est descellée la terre cuite. Et ce rire… Se dessinant en lentes volutes pétrole, une silhouette aimée… Tiriel.

Comment…
Je t’avais prévenu pourtant, grande sœur.
Je ne serais plus ton esclave !
Tu n’as donc toujours rien compris…

L’ombre de Tiriel la recouvre à mesure qu’il s’avance, menaçant. Non, elle ne peut pas se battre contre lui, pas lui faire du mal, pas encore.

Tu es ici pour la Griffe. Alors apprends.

Sa trop légère robe de soie n’amortie pas les coups qui pleuvent. Le Paladin dans toute la gloire de son aura de courroux. Et Ibräm qui lui demandait, il y a peu, de lui apprendre à retrouver cette présence de Terreur. Oh! S’il se voyait en cet instant précis. Pri incante sans reprendre son souffle, ses mains tissant fébrilement la lumière pour se protéger, se soigner… et frapper enfin en désespoir de cause.

Colère, peur, haine… laisses tout cela t’envahir, sers-t’en !

La Lumière afflue même dans ce lieu éloigné de millier d’éons des Trolls et de son amant. Pri chante et esquisse des arabesques tandis que l’investit l’énergie tissée, asservie, contrôlée. Sous ses pieds se dessine un glyphe de puissance qui éblouit dans la pénombre, l’entoure d’une aura aussi redoutable que celle du Tiriel d’Ombre qui ne cesse de chercher à la blesser.

Seule la fin compte…
Seule la fin compte.

Le pacte initial. Il est trop tard pour reculer face au piège tendu. L’Ackasha du Tourmenteur frappe sans relâche la projection de son amant sans réfléchir. Les traits d’arcane et de lumière se succèdent jusqu’à ce que la silhouette s’effondre, vaincue. Un bruit de verre brisé, de lame acérée, de joie sauvage et de Haine assumée. Le fragment d’Asnath éclate de rire. Il ne peut être ici, puisqu’il est toujours prisonnier dans le corps de Rougecroc. Comment a-t-elle pu à ce point se laisser désarçonner ?

Trop tard pour reculer… Une douleur écœurante la plie en deux, et dans un cri elle se laisse glisser au sol. De très loin lui parviennent les appels affolés d’Ibräm. Dans son esprit il n’y a que les paroles d’Asnath, qui lui paraissent sans suite et sans logique. Ou sont-ce ses propres réflexions ? Qui mieux qu'elle sait de quelle façon se torturer?
Devenir l’arme qui détruira le Créateur, les émotions ne sont que faiblesse, regarde où cela te mène. Tu es responsable de tout. Tu n’as aucune excuse et tu les perdra tous. Encore.
Plus rien n’a d’importance tandis que se retirent la souffrance, et les ricanements. Une vague de bien être, elle goûte à sa propre Tourmente.

Pri prend le temps de s’étirer presque langoureusement. Se relève lentement, et d’une démarche chaloupée sort à l’air libre. Les Trolls ont laissé seul Ibräm, qui la dévisage, pâle et inquiet. Il flotte autour de lui une odeur enivrante, attirante et irrésistible. Pri l’enlace et niche sa tête dans son cou en le respirant avec délectation. A présent elle le sait, elle se nourrira du Malheur d’autrui.