[L'Expérience Cynwid] En pâture au Cauchemar.

Ils gagnaient du terrain, bientôt le son des carreaux le dépasserait, et ce qui aurait pu autrefois balayer ses poursuivants allait devenir l’instrument de sa défaite. Handicapé, la jambe traînante, plus lourde que jamais et ce bras devenu inutile, partageant ce poids non négligeable. Il se hâtait de traverser la plaine des contreforts de Hautebrandes, mais les réprouvés n’allaient pas lui en laisser le temps.

Le boiteux arriva sur la route, pestant d’avoir si mal choisit la direction à prendre. Proie déjà désignée par un tout autre chasseur, il avait paniqué et en ressentait désormais pleinement la Tourmente.

Cependant, dépassant un arbre, il fût happé par une soudaine nappe de brume épaisse et froide. Cette dernière entourait un chemin qu’il n’avait pas distingué avant cet instant. Sentier bordé d’arbres certainement tordus par un hiver précoce, la terre était devenue noire, comme cendreuse. Mais tout ça n’avait pas d’importance, il devait avancer et le brouillard devrait suffisamment retarder ses poursuivant pour lui laisser le temps d’appliquer l’art de sa jeunesse, à savoir de disparaître dans son ombre.

C’était la plus grande porte qu’il n’avait jamais vu. Une grille aux dimensions titanesques se dressait devant lui, semblant garder un lieu d’une noirceur égalant celle du Néant. Impossible à escalader, surtout dans son état… Il était fichu, aucun moyen de contourner l’édifice. Il serra les poings, vaincu et conscient de l’étendue de sa défaite.

Comme répondant à une prière muette, la barrière ouvrit ses pans dans un grincement sinistre. Lui laissant libre passage vers une obscure cache.

Sans un regard en arrière, il s’élança…

Les bruits de cavalcade s’approchaient et les clameurs grossissaient. Le martèlement des sabots sur le sombre gravier plongé dans l’écran d’albâtre se muèrent lentement en un sifflement. Une légère mélodie sur des notes enfantines s’éleva à mesure qu’une petite fille sortait de la brume d’un pas dansant.

- Une, deux et Elle te coupera en deux. Vêtue d’une robe d’un gris terne, entourée d’un ruban blanc sale, elle avait le teint blafard et de lourds cernes sous les yeux.
Trois, quatre, remonte chez toi quatre à quatre. Ces derniers étaient grossièrement maquillés d’un noir coulant le long de ses joues Un sourire ravit sur les lèvres.
Cinq, six, surtout ne dors pas la nuit. Ses cheveux couleur corbeau étaient ramenés en deux couettes faites avec un manque flagrant d’expérience.
Sept, huit, elle est cachée sous ton lit. Elle ressemblait à une poupée ayant soudainement prit vie. Automate animé par une funeste magie.
Neuf, dix, si tu t'endors c’en est fini. Ses pieds nus foulaient gaiement le sol à la suite du fugitif, alors que les immenses portes se refermaient derrière-elle.


Avec un tel esprit torturé, ce fût plus que facile à Onironge de le plonger dans son Cauchemar. Maîtresse des Fantasmes et des Illusions, elle allait pouvoir commencer son travail avec un plat de choix.
A première vue, il avait tout d’un humain.. Enfin pour ce qui concernant son flanc droit. L’ancien médecin confirma les propos du parasité au sujet du gauche. Impossible cependant de le différencier d’un faux…

Il souffrait d'une grave malnutrition, les protections de son corps affaiblies par son aventure... Une mauvaise nouvelle, elle reconnaissait ces symptômes. Encore une fois elle nota mentalement ses premiers diagnostiques.


Benjamin ouvrit les yeux. A nouveau cette scène, à nouveau le regard du Créateur posé sur lui, étincelant d’une malveillance qu’il n’affichait que rarement.
Il était couché face à sa Némésis, lui se tenait debout, les bras tendus au dessus du cercle de transmutation. Mais pour le cobaye, comme pour l’alchimiste et les acteurs encore inconnus à la scène, tout se figea.

L’avatar onirique du Cauchemar venait de se matérialiser au milieu de ce décor irréel. Avançant en observant l’endroit avec attention, laissant glisser une main le long d’un établit garnis de flacons aux couleurs variées, la petite fille se campa devant le reflet de son passé.
Une jeune et jolie femme aux cheveux d’or se tenait en retrait, un carnet de note à la main, un crayon dans l’autre. Vêtue d’une longue blouse blanche, elle laissait tout de même entrevoir de longues jambes aux formes attrayantes. Mais devant le spectacle, Wendeline Nolly, pétrifiée comme chacun, détournait le visage, une grimace barrant son visage.
- Du déjà vu apparemment… Lançant une œillade sur les écrits de son ancienne personne, elle constata à nouveau les limites de son pouvoir. Ce n’était pas son cauchemar, mais celui de son porteur. De là où il se tenait, il ne pouvait voir et encore moins lire ces informations. Le pouvoir d’Onironge complétait la vue limitée de son hôte, traçant une pièce complète en fonction de ses souvenirs et de la logique continuité des objets.

Mais là n’était pas l’objet de sa Tourmente ce soir et elle allait devoir prendre son temps, le Cauchemar venait de commencer. Le Cynwid disparu du laboratoire, laissant ce simulacre de temps reprendre des droits qui ne lui appartenait pas dans ce Royaume.
La voix de Charles Bessem s'éleva, celle de Benjamin hurla.

- Laisse glisser le pouvoir...