[Nalia] Brumes entre passé et présent...

Il s'en était fallu de peu, mais elle avait laissé Ivari Smetlov en vie.

Pourquoi ? Elle l'ignorait... L'entendre débiter ce qu'il avait osé faire... froidement, avec autant de détails... Oui il n'était plus vraiment humain, oui les chances de trouver une solution pour le sortir de sa prison de pierre étaient sans doute inexistantes et on ne pouvait pas le laisser ainsi. Mais c'était à elle de le faire comme elle lui avait promis ! A elle ! Pas à un foutu mage inconnu même pas capable de se souvenir de son nom !! Serrant dans sa main le sac en lin contenant les petits ossements, tout ce qu'il restait de Benjamin à présent, elle avait sauté sur son griffon et quitté ce manoir maudit.

Le vent violent et l'habituelle pluie de Gilnéas avaient plusieurs fois failli les fracasser elle et son griffon contre les rochers qu'ils longeaient, mais Nalia maintenait pourtant le cap le plus court vers les carmines. Si les falaises souhaitaient mettre fin à tout ça...pourquoi pas ? Le trajet lui paru interminable alors même que son griffon s'épuisait à voler toujours plus vite à sa demande. Les paroles d'Ivari Smetlov résonnaient sans cesse dans sa tête, les images se formant petit à petit... Il n'avait aucune raison de lui mentir, elle savait que c'était vrai... Mais elle devait tout de même le voir...

Ce n'est qu'en heurtant une paroi que Nalia pensa à sortir la bouteille de belladone pour en mettre quelques goutes dans ses yeux afin de diminuer les ténèbres autour d'elle. Frôlant ensuite le goulot du bout des lèvres, elle finit par l'envoyer d'un geste brusque se briser contre la roche avant de rejoindre le fond de la caverne d'un pas pressé. Le pilier était à présent creusé d'une forme vaguement humaine à l'endroit ou Benjamin s'était trouvé...
S'appuyant contre la pierre froide, la jeune femme fut prise de sanglots, laissant jaillir à nouveau les larmes que le voyage en griffon avait fini par tarir. Encore une fois elle l'avait perdu...encore une fois elle n'avait pas été là, avait été privée d'un dernier regard, d'un dernier mot... Aujourd'hui, plus de 16 ans après, la douleur était toujours la même. Aussi vive, aussi dévastatrice, prenant sa source dans sa poitrine, tambourinante dans sa tête, vrillante dans son abdomen...Elle semblait se diffuser dans chaque fibre de son corps, chaque recoin de son âme.
Les images revenaient. Celles du passé qui avaient si souvent hanté ses cauchemars revenaient aussi fortes qu'au premier jour et se mêlaient à celles du présent... Leur dernière nuit ensemble... ils s'étaient écartés du reste des troupes pour s'unir au cœur des bois, les lumières de la belle Dalaran en contrebas... Puis la mission, et cette fameuse nuit... Le cri de Benjamin qu'on torturait dans l'autre camp... le sac qu'ils avaient enterré le lendemain matin avec Samor... Et la nuit suivante. La seule fois où Nalia avait clairement désobéi aux ordres...

Toute à sa douleur c'est presque par miracle qu'elle parvint à esquiver le coup de hache que l'orc lui destinait. Roulant sur le coté, sa dague se retrouva par habitude dans sa main. Esquivant un second coup, elle prit appui sur le pilier et se jeta sur l'orc, qui ne s'attendait visiblement pas à ce que sa proie fasse volte face, et encore moins à ce que le métal de la dague qu'elle tenait se trouve enfoncé dans son aine. Oui l'aine et pas la gorge... ça n'avait rien d'une erreur. Bien qu'aussi mortelle l'une que l'autre, une blessure à la gorge l'aurait privé de la possibilité d'appeler de l'aide... ce qu'il fit bien sûr. Était-ce des orcs ou des gnolls qui arrivèrent ensuite ? La jeune femme n'aurait su le dire... seuls les coups comptaient. Elle voyait l'acier, elle voyait le sang... les cibles étaient tour à tour orcs, gnolls, humains d'une armée adverse dissoute depuis longtemps...ou même Ivari Smetlov...

Ce n'est qu'à l'aube qu'elle sorti de la caverne couverte de sang avec un collier de scalps sanguinolents eux aussi, et se mit à boiter lentement en direction du mess. Sur la route elle trouva un arbre et s'adossa à son pied, ne pouvant aller plus loin. Une brève inspection machinale lui apprit qu'a priori aucune de ses blessures n'était grave. Elle n'en était ni rassurée ni déçue. Elle était vide. Plus de douleur bien que ses muscles soient tétanisés d'avoir été trop sollicités, plus de pensées...Plus rien... Juste le Vide.