[Le Conflit Cynwid] Ce qu'il donne, il peut le reprendre.

L’auberge du Comté-du-lac était plongée dans le noir à cette heure de la nuit. Seuls les derniers rougeoiements des braises au fond de l’âtre brisaient par moment la profondeur de l’ombre qui baignait les lieux.

Le silence était complet quand elle arriva. Grande silhouette semblable à un homme, elle venait de se relever devant la porte, qui n’avait quant à elle pas bougé, et s’avança dans l’allée centrale. Sa démarche fluide sans égale tant son pas était muet, le dos légèrement vouté, les genoux fléchissant à chaque mouvement, elle arriva aux pieds des escaliers.

Un chat qui dormait là, s’était relevé à son approche. Dressé sur ses pattes, le poil ébouriffé et le dos rond. Il crachait d’un air belliqueux face à l’intrus, ses oreilles s’aplatissant d’avantage à son approche.

- Minou, minou… Le ricanement qui s’en suivit interloqua l’animal, laissant apparaître sur sa gueule une crainte purement instinctive.

La silhouette leva un pied et l’abattit aussi violemment que rapidement, ne lui laissant aucune chance d’esquive, l’envoyant s’écraser sur le mur opposé.
Alors qu’elle s’apprêtait à reprendre sa route, un miaulement plaintif s’échappa de derrière une table. L’étrange apparition fit demi-tour en affichant un sourire malsain avant de se saisir de l’animal meurtri par la queue. Elle le regarda quelques instants se débattre vainement et gémissant de douleur à chaque mouvement, lui frappant lentement le visage de sa main libre.

- Alors ça fait quoi d’être la souris..?

Se retournant vers l’âtre, l’intrus laissa à nouveau échapper ce sinistre rictus.

Grimpant doucement les escaliers à la lueur des flammes, l’homme gardait continuellement le visage baissé, laissant sa chevelure masquer son visage alors que les doigts de sa main droite bougeaient machinalement dans le vide. Dans le couloir, rien ne bougeait. Les quelques portes étaient alignées silencieuses, soldats de bois en rang dans la pénombre.
Il s’arrêta devant l’une d’elle, laissant glisser une main caressante sur le bois durant plusieurs secondes et ensuite reprit sa marche au-delà, faisant à nouveau halte.

Dans la pièce tout était calme, seuls les respirations de deux rêveurs brisaient parfois la profonde quiétude des lieux. Les fenêtres, tout comme la porte, étaient fermées. Les volets clos interdisaient l’entrée jusqu’aux rayons de la lune.
Couchée sur le dos, un bras dépassant des couvertures, son visage n’offrait qu’une parfaite neutralité, comme si le sommeil l’avait simplement arrêtée pour quelques heures.
Cependant, au fur et à mesure que la silhouette penchait son visage vers elle, ses traits devinrent plus rudes, comme haineux. La jeune femme gronda silencieusement alors qu’il respirait son odeur à quelques centimètres de sa bouche, laissant lentement glisser son odorat avant de disparaître comme il était venu.

Elle suffoquait. L'air embrasait ses poumons, son sang était de fiel, ses muscles tendus à se rompre. Tout autour d'elle l'agaçait jusqu'à sa peau même. Elle aurait voulu châtier les draps de l'entraver, punir l'univers entier.
La jeune femme avait envie d'être en colère. Une déferlante de méchanceté pure, douloureusement frustrante. Un sentiment de haine s'épanouissait en son sein. Que n'aurait-elle donner pour défouler sa rage. Tuer... Comme une porte qu'on ferme hermétiquement sur une cacophonie, tout se tût soudainement.

Sa gorge sèche était enrouée du long hurlement qu'elle avait poussé. Un rêve, ce n'était forcément que cela. Elle ne se souvenait pas pourtant d'avoir accès aux songes lors de ses méditations, et les territoires oniriques qu'elle avait arpenté depuis plusieurs grands cycles appartenaient toujours à quelqu'un d'autre.
Elle perdait lentement mais surement la tête, la seule explication logique à tout cela. Tiriel la berçait avec une infinie délicatesse qu'elle pensait de moins en moins mériter. Pri se libéra de l'étreinte de son époux pour calmer la frayeur du bébé criant dans son berceau.
Elle chancela et dû s'assoir, Mahli dans ses bras, ne quittant pas des yeux les quatre longues entailles sur le bord du tout petit lit. Comme si on avait griffé le bois ou passé des lames sur sa surface. Mais son fils n'avait rien...

La jeune femme s'habilla en hâte. Il fallait préparer dès à présent le départ de son enfant. Loin d'ici, loin d'elle... Quelque chose manquait à sa tenue. Elle fouilla frénétiquement les draps, retourna le matelas, renversa les tiroirs. La Griffe restait introuvable.

L'Humaine se précipita dans la chambre de la nourrice Isénia, quand l'odeur écœurante la frappa de plein fouet. Se réveillerait-elle jamais de ce cauchemar? Il flottait dans le couloir de l'auberge une fumée un peu grasse, comme si on avait fait rôtir de la viande sans se soucier du tirage de la cheminée. L'heure était encore trop matinale pour qu'on s'active en cuisine de la sorte, et Daniels n'utilisait le foyer de la salle commune qu'en soirée.

Pri descendit les marches une à une, avec l'appréhension de ce qu'elle allait trouver lui nouant les entrailles. Les flammes crépitaient joyeusement, dévorant le poil de l'animal embroché. Ce qu'il restait d'un chat, les membres rompus et tordus dans des angles impossibles. Une telle cruauté, gratuite, même pour l'avertir de son passage. Asnath et la Griffe réunis. Son petit frère était désormais armé et reprenait plaisir à tuer.