[Les Profondeurs Cynwid] Au Coeur du Conflit.

Aussi longue que large, cette grande pièce était faite de pierres blanches caractéristiques aux murs de Hurlevent, si ce n’était leur couleur salie et les ruines dont elles étaient les composantes maîtresses.

Une odeur de crasse mêlée à de la transpiration flottait dans l’air humide. Le sol, quant à lui, était jonché de détritus ci-et-là, quelques tonneaux vides dont un éventré méthodiquement. De la poussière crasseuse et moite le recouvrait presque entièrement, et en son centre se trouvait une épaisse grille d’acier de laquelle provenait parfois un grognement étouffé.

Des gardiens se promenaient dans les murs et parfois échappaient un murmure. Ombres infectes ondulant sournoisement aussi bien sur les sols que dans les pensées.

Malgré l’horizon apparent, cette plaie béante dans une des parois, il était impossible d’échapper de cette singulière prison. Une force semblait repousser toute tentative d’évasion, même la mince porte de bois située au sommet des escaliers parait en mesure de résister à une tempête.

L’endroit n’était pas petit, mais pourtant oppressant… Était-ce l’air vicié dont la circulation était plus que douteuse ? De voir la liberté à portée de main sans pouvoir l’atteindre ? Le régime draconien imposé par le funeste geôlier.. ?
La pièce elle-même semblait user ses prisonniers, rendant leurs muscles douloureux et accroissant leur fatigue. Une sombre magie baignait les lieux, et aucun d’eux n'était capable en mesurer l’importance.

Coupés des toiles et des nœuds d’énergie, ils attendaient…

Quelque part dans les Maleterres.

D’apparence paisible, ces ruines étaient un véritable champ de bataille en devenir. Sur un plan autre que le Primaire se déroulait un affrontement ne laissant ni bruit, ni trace, pour une perception néophyte en la matière.
Il n’y avait nulle trêve, nulle échappatoire. Tant sur plan mental que physique, les Cynwid se donnaient corps et âmes à leurs Voies, usant de ruses et de sortilèges propres à chacun.

Au dessus de cette bataille invisible se tenait l’un d’entre-deux, le meilleur ou bien le pire. D’un œil attentif, il ne perdait rien de ce qui se déroulait dans l’Ombre, jaugeant et communicant les informations utiles à son camp.
Dans l’un de ses bras se tenait un nourrisson, une fillette plus amusée qu’inquiète de la situation. Adhélya brassait joyeusement l’air des bras à la recherche de la capuche ornant la tête de son père.

Couvrant sa position à l’aide du Mensonge, il fit un écart lorsqu’il sentit la Tourmente caractéristique de l’Inconnu. Cette sombre et sourde inquiétude quant au lendemain, source du courage et de la couardise, berceau de la personnalité de chacun.
Mais cette dernière était subtile, comme maîtrisée. L’œuvre d’un maître résigné, investit d’une mission toute personnelle où se mêlent devoir et honneur.
Il se redressa lentement à l’arrivée du griffon, dont le sens de l’orientation venait momentanément d’être troublé, et jaugea l’étranger du regard.

Kulwch Artorson véhicula l’espoir qu’il fallait au Prince des Mensonges, lui promettant l’arrivée de renforts et surtout l’existence de ces derniers.
Son interlocuteur lui sembla très intriguant. De part ses paroles ou encore la Tourmente qu’il dégageait, mais l’heure n’était pas à ce genre de considération. Surtout que ce dernier avait accepté l’un de ses fragments sans rechigner, le remerciant même du geste.
La situation était critique et surtout le temps jouait contre eux. Charles Bessem avait capturé l’essentiel des membres du Talion, tuant dans l’œuf les projets d’attaque de la compagnie.

Il les observait d’un peu trop près au goût du Cynwid…


Quelques jours plus tôt, Forgefer.

La porte s’ouvrit sans faire un seul bruit pour révéler les ténèbres régnant dans la maison.
Un homme portant un long manteau de cuir usé entra et boucla la sortie avant de prendre le soin d’allumer une torche. Il avait la mine patibulaire des poivrots cuvant sur les docks de Hurlevent. Plusieurs cicatrices ornaient son faciès au nez cassé, le tout étant surmonté d’une tignasse d’un blond sale tirant sur le roux.
Des pleurs caractéristiques aux nouveau-nés s’élevèrent de l’étage inférieur. Ces derniers étirèrent un sourire mauvais sur le large visage du larron qui, nullement intimidé par les lieux, se dirigea aussitôt vers les escaliers.

La pièce était sensiblement plus petite de part son mobilier plus fournit qu’au rez-de-chaussée. Deux chaises et une table sur laquelle trônait une pile de livres aux épitres arcaniques, une bibliothèque remplie de divers romans, cartes et décorations exotiques, ainsi qu’un lit sur lequel était étendu un homme aux longs cheveux gris-argent. Son visage était enfoncé dans l’oreiller et il n’avait pas prit soin de retirer ni ses vêtements, ni ses bottes.
A côté du sommier s’en trouvait un autre de plus petite taille. Un berceau improvisé, composé de plusieurs couvertures, d’une caisse en bois épais et de quelques fourrures, offrait au bébé un confortable nid.

L’intrus accrocha sa torche à une encoche murale et se pencha vers la fillette, refermant son énorme main sur celle-ci, lui arrachant de nouveaux pleurs, plus aigus que les premiers, moins que ceux qui suivirent.
L’homme fit appel à son intellect abruti par l’alcool frelaté, et d’une gifle espéra faire taire ce qui risquait de devenir une sérieuse migraine ou encore d’attirer la garde naine dans la masure.
Hélas pour lui, l’enfant n’en entendit pas de cette oreille et redoubla son cri de détresse, obligeant le brigand à plier le genou et à poser sa main libre sur une oreille. Sentant autour de lui l’atmosphère devenir plus lourde et pesante, il sut aussitôt que quelque chose n’allait pas. Au-delà du cri de sa proie, une sombre-magie était à l’œuvre dans ces lieux et il n’en était pas l’auteur.

Comme pour répondre à sa question muette, on lui arracha son fardeau des mains et le hurlement se transforma en joyeux gazouillis.
- C’est bien ma fille. Ton père va prendre le relai.

A l’ombre des minces reflets que les flammes offraient, l’inconnu pu distinguer celui qui était allongé quelques instants plus tôt, celui qui devait être rendu inoffensif.
Il était dressé face à lui, Adhélya dans le creux d’un bras, son regard bleu-acier brûlant d’une sourde colère braqué sur lui.
Malgré l’intensité de cette observation et la peur qui en découlait, l’intrus pu distinguer les formes noires qui glissaient depuis l’étage supérieur, venant s’installer ouvertement comme à un spectacle.

- J’ignore ce qui vient de se produire, mais je sais ce qui va t’arriver…
Sans laisser une chance à l’homme de répondre, Rougecroc envoya son pied directement dans la figure de ce dernier.

Un craquement sonore lui fît écarquiller les yeux. Celui qui venait de violer son territoire était désormais étendu, immobile, la tête tournée dans un angle impossible.

Un silence pesant s’installa sur l’endroit, nourrissant une lourde tension qui s’insinuait sournoisement entre chaque Cynwid présent. Les yeux du Mensonge étaient braqués sur le corps hérissé de la Haine.
Tout devint Chaos. Une ombre saute, une torche tombe, la Tourmente…


Hier, les Maleterres.

Le commandant de la Garde n’avait rien négligé. En constante communication avec un magus, accompagné par six hommes d’armes triés sur un volet particulier, d’un druide elfe à la recherche de sa compagne et de celui qui se faisait appeler Dague ; il s’apprêtait à porter secours à ceux qui ne pouvaient espérer nul autre aide que la leur.
Charles Bessem avait abusé de bien plus que de son temps, il avait prit sa place, il avait prit sa vie en le reléguant au statut de spectateur… Un froncement de sourcil accompagna cette pensée.
Ingtar de Shinowaa n’avait qu’une attente, que l’on délivre ces gens et que l’alchimiste dément survive assez longtemps pour lui être livré pieds et poings liés.

Mais à l’heure actuelle, il devait mettre au point un plan. Selon Rougecroc, une bataille ferait rage autour de la crypte renfermant le laboratoire de Bessem. Des alliés Cynwid combattraient des ennemis de la même race sans pouvoir être vu à l’œil nu.
Cet état de fait pourrait permettre à un faible contingent d’infiltrer les lieux, mais pour ce faire il faudrait attendre le signal permettant à Crono et Kulwch de passer outre la porte scellée.

Lorsque le Mensonge donna le signal, les compagnons d’arme foncèrent têtes baissées dans un boyau obscur dont l’entrée de granit avait volé en éclat.
Les escaliers ne furent pas longs à dévaler et aucun ennemi ne fût rencontré sur les quelques mètres parcourus. Mais une fois arrivés devant une porte, tout devint subitement sombre et flou.

A cet instant, en haut de la tour surplombant la crypte, Rougecroc se tourna vers le commandant, marchant vers lui d’un pas décidé.
- J’aimerais que vous veilliez sur elle, Ingtar. A l’instar de sa mère en danger, je vais faire confiance à ceux que j’en juge digne… Je ne peux les laisser seuls face à Vénémion et les miens ont quelques ennuis avec une chanteuse de mauvais goût.

Le militaire tendit machinalement les mains vers l’enfant, le posant inconsciemment à la manière dont sa propre mère le portait. Il lança une œillade vers le père de cette dernière et hocha simplement du chef.
Rougecroc se retira au bord du vide et lança un dernier regard au commandant et à sa suite, avant de se laisser tomber.


Aujourd’hui, au Cœur du Conflit.

Après que l’obscurité les eut engloutit, ils sentirent leurs corps charriés par de puissants courants bien souvent contraires, semblant changer de sens à chaque fois qu’ils prenaient le chemin de l’un de ceux-ci.
Tout était désespérément noir, l’air était irrespirable, dégoûtant mélange de sueur de sang. Leurs pensées tourbillonnaient, incapables de se fixer sur un point précis sans que leur concentration soit repoussée vers un autre.

D’épais morceaux de pierres prirent forme dans cette Tourmente, se déplaçant à première vue aléatoirement, mais qui formèrent au final une pièce munie d’un large balcon donnant sur des landes désolées.

Chacun prit place sur le premier palier de l’escalier menant à un couloir dont les méandres se perdaient dans une noirceur impénétrable. Ibräm, Nalia, Pri, Circé, Zephyrnost, Lewen, Kulwch et Crono se tenaient debout, regardant autour d’eux avec autant de curiosité que d’appréhension sur la suite des évènements. Leurs poignets et leurs chevilles étaient comme attachés au sol par quelques moyens magiques sur lesquels ils n’avaient aucun droit ; les leurs ayant été confisqués par le Cynwid de la Discorde.

La décoration était aussi sinistre que sobre. Deux grandes statues étaient dressées devant eux, représentant deux guerriers se faisant face dans un air défi. Des dalles aux grandes pierres, tout était emprunt d’un voile d’Ombre. Seule la large ouverture dans le dos de la compagnie et un lustre aux ornements douteux offraient une lumière suffisante que pour distinguer les contours de l’endroit.

Vénémion était maître ici. Son Expérience et des choix, bien souvent manipulés, les avaient conduits ici...


Au Cœur du Conflit.